Culture | Flandre intérieure
17 novembre 2023

Lumière sur le métier de traductrice à la Villa Marguerite-Yourcenar

Velina Minkoff, Noémie Grunenwald et Nadine Gassie sont toutes les trois traductrices. Durant le mois de novembre, elles sont réunies en Flandre pour une résidence littéraire à la Villa Marguerite-Yourcenar. Nous les avons rencontrées pour parler de leur métier, avant la soirée du 23 novembre, ouverte à tous.

De double nationalité bulgare et française, Velina Minkoff traduit sa langue natale en anglais et en français. Elle signe également des textes en son nom. 

Traductrice de l'anglais vers le français, Noémie Grunenwald travaille sur des essais et de la littérature en lien avec des questions féministes.

Nadine Gassie est traductrice depuis bientôt 40 ans, de l'anglais vers le français. Elle est spécialiste de la littérature australienne.

Pourquoi la traduction ?

Velina Minkoff : J'ai grandi en Bulgarie, dans une famille de traducteurs. Déjà ado, pour m'occuper, mes parents me donnaient des textes à traduire ! Pour moi c'était une évidence, je ne voulais faire que ça. Dans mon pays natal, comme il est assez petit, la littérature étrangère occupe une place très importante. Après la chute du communisme, je suis partie étudier la littérature anglaise aux États-Unis. Je suis arrivée en France beaucoup plus tard, et c'était un véritable défi d'apprendre la langue pour la traduire et l'écrire. J'écris aussi mes propres textes, que j'autotraduis entre les trois langues.

Noémie Grunenwald : C'est mon parcours militant qui m'a amenée là. Je m'intéresse aux thèmes liés aux "féminismes des marges", et à mes débuts, je trouvais que l'on manquait de ressources. J'ai alors commencé à traduire des ouvrages anglophones, d'abord pour moi, puis j'ai eu envie de les partager aux autres... Ensuite il y a eu un effet boule de neige, j'ai commencé par travailler pour des éditeurs, et désormais, c'est mon métier !

Nadine Gassie : Pour ma part, j'ai fait des études de traduction. Je ne me voyais pas écrire moi-même, la fiction reste un mystère pour moi, je la trouve d'une complexité folle. J'aime servir la parole des autres, les enjeux de la traduction sont très forts, une œuvre doit pouvoir circuler, toucher tous les humains, participer à l'entente des peuples. Traduire est finalement un engagement.

Comment procédez-vous pour traduire ?

Nadine Gassie : Je lis l'œuvre une première fois, puis je fais beaucoup de recherches, je me documente, que ce soit en amont ou pendant la traduction. Je lis tout ce qui tourne autour de l'auteur, des traductions précédentes, aussi, si elles existent. Pour ce qui est du rythme, je traduis tout une première fois, puis je relis et corrige, jusque trois fois si nécessaire. Ce sont des mois de travail, parfois éprouvants, surtout quand le texte nous résiste. 

Velina Minkoff : Pour moi ça a toujours été la chasse aux mots justes, depuis mes débuts, je me perds dans les dictionnaires ! Il n'y a rien de plus douloureux que de ne pas trouver le bon mot. Je me relève même la nuit, je défais, je refais... le texte est vivant, c'est passionnant. Je tiens à commencer dès le matin,  et je me plonge dedans jusqu'à ce qu'on me dérange.

Nadine Gassie : On apprend aussi beaucoup sur sa propre langue quand on traduit. Le français est d'une richesse infinie. Par exemple en ce moment à la Villa, je lis Quoi ? L'éternité de Marguerite Yourcenar. Et au détour d'une page, je tombe sur "des conversations désultoires"... Je ne sais pas encore si c'est un mot qui existe, ou si elle l'a inventé, mais comme elle vivait aux États-Unis à cette époque-là, j'imagine que c'est un anglicisme. "Desultory" veut dire "désinvolte" en anglais.

Noémie Grunenwald : Pour moi c'est pareil, quand je traduis des essais, je me documente sur les sujets, les contextes, les paysages, les cartes… Cependant, je ne sacralise pas, ça m'épargne la douleur ! Mais je peux avoir des regrets après-coup. Si le texte est vivant, nous, traductrices, le sommes aussi. On fait une proposition à un moment donné, mais peut-être que si on retraduisait l'œuvre dix ans plus tard, on aurait un autre regard à proposer.

Velina Minkoff : C'est pas du tout simple quand on s'autotraduit, ce qui est mon cas lorsque je transpose mes propres textes. Mais je peux alors modifier le fond comme la forme puisque je suis aussi l'auteure. Parfois j'ajoute des détails pour éviter les notes de bas de page.

Noémie Grunenwald : J'essaye aussi d'éviter les notes qui alourdissent la lecture. Je dois donc parfois ajouter un mot ici ou là pour préciser de quoi on parle.

En tant que traductrices, pensez-vous que vos noms devraient se trouver sur la couverture, sous celui de l'auteur ?

Nadine Gassie : Pour moi non. Ce n'est pas un travail d'égo, malgré la très grande exigence que l'on s'impose, c'est un travail d'humilité. Selon moi, un bon traducteur ne doit pas revendiquer d'être placé à côté de l'auteur. Nous travaillons dans l'ombre, nous sommes des artisans.

Noémie Grunenwald : Ça fait partie des revendications de la profession. Sur le principe, je trouve ça bien d'être sur la quatrième de couverture, mais personnellement je ne tiens pas à être sur la première. Cela étant, je trouve important que les articles de presse qui parlent de livres traduits mentionnent le nom des traductrices, car elles sont l’intermédiaire par lesquelles le texte circule.

Velina Minkoff : Apposer son nom sur la couverture, je sais que ça se fait de plus en plus, et je trouve ça bien. Certains traducteurs sont des spécialistes, et c'est important que les lecteurs le sachent. Cette année par exemple, c'est Georgi Gospodinov, un auteur bulgare, qui a remporté The International Booker Prize, avec sa traductrice Angela Rodel. Ce prix britannique récompense à égalité l'auteur et son traducteur pour tout livre étranger traduit et publié au Royaume-Uni ou en Irlande. C'est une très bonne chose.

Quels sont vos projets à la Villa Marguerite-Yourcenar ?

Nadine Gassie : Je suis ici pour terminer une traduction de Randolph Stow, un grand auteur du patrimoine littéraire australien, aujourd'hui disparu. Je travaille sur son deuxième roman publié en France. Il est un maître en son pays, pour des auteurs que j'ai traduits pendant toute ma carrière… C'est donc l'aboutissement logique d'un travail de 30 ans au service de ces voix australiennes.

La Villa m'offre toute la concentration dont j'ai besoin pour finaliser ce projet, et puis on a un peu l'impression que Marguerite Yourcenar veille sur nous !

Noémie Grunenwald : De mon côté, je suis venue finaliser une traduction de poèmes de Dorothy Allison, une écrivaine américaine très engagée en son temps. Ils paraîtront au printemps 2024. Ce fut son premier recueil, il contient ses premiers écrits, embryons de la suite de son œuvre.

En parallèle, j'écris aussi un texte sur Joan Nestle que je vais lire à la fin du mois, dans le cadre d'un partenariat avec l'association Littérature, etc. Il s'agit de présenter la vie et l'œuvre de la fondatrice des archives lesbiennes de New York. Cette lecture sera enregistrée en podcast afin d'être diffusée sur le site de l'association lilloise.

Velina Minkoff : Moi je suis là pour écrire directement en français, pour la première fois. Sur une petite fille Bulgare, et sur la Bulgarie de mon enfance, celle de la période socialiste, contemporaine de la perestroïka des années 80. En écrivant ici, j'ai un peu l'impression de traduire mon pays.

Cela fait 30 ans que je suis partie, et je vois que tout a changé. Je retourne souvent en Bulgarie, ça me donne envie de faire connaître ma patrie, son histoire, et de montrer aux lecteurs combien ce pays est formidable.

En résidence oui, mais à la rencontre des Nordistes !

La Villa Marguerite-Yourcenar organise systématiquement des échanges entre les auteurs invités en résidence et les Nordistes. En novembre, Nadine Gassie, Noémie Grunenwald et Vélina Minkoff ont été à la rencontre de plus de 230 élèves des collèges et lycées de Flandre et d'Artois, ainsi que d'une quinzaine de demandeurs d'emploi, lors de huit événements littéraires. 
Une soirée à la Villa aura lieu ce jeudi 23 novembre à 19h en présence du public. Ne manquez pas ce dernier rendez-vous ! Pour vous inscrire, téléphonez au +33 3 59 73 48 90

Crédits photo : C. Veryepe

Pour aller plus loin