Culture | Flandre intérieure, Flandre maritime
31 mars 2023

Une soirée avec Fanny Chiarello, Adèle Rosenfeld et Chab Touré

Pour qui aime lire, partir à la rencontre des écrivains est un peu comme assister à une avant-première au cinéma. Tout au long de l'année, la Villa Marguerite Yourcenar organise des temps d'échanges avec les auteurs qui y viennent en résidence. Retour sur l'un de ces moments de partage.

Fanny Chiarello, Adèle Rosenfeld et Chab Touré : trois auteurs, trois chemins qui se croisent. Venus en résidence pour un mois à la Villa départementale Marguerite Yourcenar, ils discutent ce soir-là dans la cuisine de cette demeure qu’ils partagent depuis quelques semaines, en attendant l’arrivée du public.

Dans la bibliothèque attenante, les chaises commencent à se remplir. Certains habitués se font la bise, prennent des nouvelles des uns et des autres. D’autres s’assoient et découvrent le lieu pour la première fois. La pièce est chaleureuse, remplie de livres, et le portrait de Marguerite Yourcenar veille sur l’assemblée.

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Tendre la main pour se retrouver

Les écrivains s’installent autour de la table. Marianne Petit, directrice des lieux, ouvre le bal avec Fanny Chiarello en présentant le parcours de l'auteure, originaire de la région, qui a reçu de nombreux prix.

À la fois romancière et poétesse, Fanny Chiarello est protéiforme. Elle aime aussi passionnément la musique (elle entretient un répertoire de 1800 créatrices sonores à ce jour) et se trouve fascinée par les nombres premiers.

J’ai toujours du mal à dire non aux sollicitations, la résidence me permet de sortir de ce tourbillon.

Fanny Chiarello

L’auteure est venue parler de son dernier roman, L’Évaporée, écrit à quatre mains avec son amie Wendy Delorme. Un roman cathartique pour l’écrivaine qui avait besoin de se décentrer de sa propre histoire après un moment douloureux : J’ai rencontré Wendy sur un salon du livre en 2018. En 2021, suite à une rupture amoureuse et la perte de mon chat, j’étais incapable d’écrire, j’avais besoin d’aide. J’ai proposé à Wendy d’écrire avec moi une histoire à deux voix sur ce que je vivais. Elle ne connaissait pas toute mon histoire et devait justement inventer une autre femme, la substituer à celle qui m’avait quittée. Elle a répondu au-delà de mes attentes, ce fut formidable. Cette expérience m’a libérée.

L’échange se poursuit avec Marianne Petit : les autres livres de l’auteure, son goût pour le cinéma et la musique, son engagement féministe et sa colère contre l’exploitation des animaux.

Fanny Chiarello témoigne du bien-fondé de cette résidence : C’est très précieux de pouvoir se concentrer sur l’écriture. Dans ce lieu, je suis coupée du monde et de mes habitudes, j’ai pu écrire 80 pages en trois semaines !. Sans compter la magie du lieu : Ici, avec la frontière, la nature extraordinaire, l’atmosphère est incroyable. Et puis il y a la gentillesse des gens, partout, renchérit-elle.

Avant de poursuivre la soirée, Marianne invite sa première interlocutrice à lire quelques extraits de son livre. Elle s’exécute avec passion, l’assemblée boit ses paroles.

Combler les absences

La directrice de la Villa présente ensuite Adèle Rosenfeld. Finaliste du Goncourt de printemps en 2022 avec son premier roman qui l'amène devant nous, l’auteure de Les méduses n’ont pas d’oreilles développe une grande sensibilité à son entourage.

Ce roman, elle s’est donnée deux ans pour l’écrire, le temps de son Master de littérature. Il traite du handicap, celui de la surdité, mais aussi du rapport au monde à travers ce prisme. L’auteure, qui est elle-même malentendante depuis la naissance, consigne précieusement les sons, elle en a fait une sorte d'"herbier" avec ses mots.

Quand on dit que le langage est la vérité, si les sons sont déformés, alors la vérité l’est aussi

Adèle Rosenfeld

Elle a créé son double littéraire pour s’amuser de ce qu’elle vit au quotidien : C’est un roman sur le langage, sur un sens qui se déforme. Louise, la narratrice, adopte des stratégies, elle recompose un monde, qui adopte d’autres contours. Son héroïne, un peu Princesse des mots tordus, voit des personnages imaginaires qui deviennent des représentations symptomatiques d’elle-même : un chien, un soldat, une botaniste… autant de présences qui l’isolent.

Pour Adèle Rosenfeld, la résidence d’écrivain est une occasion unique d’échanger sur ses pratiques d’écriture, mais pas que : J’apprécie d’être avec d’autres auteurs. Etre déplacée, l’atmosphère du lieu, le paysage, la région, c’est être pénétrée par quelque chose d’inhabituel. C’est combler les absences aussi, qui nous manquent.

De sa douce voix, l’écrivaine parcourt quelques pages de son roman, elle nous donne envie de lire la suite et de plonger dans son univers.

Écrire au seuil de l’indicible

Cette soirée est aussi une invitation au voyage. Cap sur le Mali, avec Chab Touré, qui est en visite dans le Nord pour sa première résidence d’écrivain. Marianne Petit présente cet auteur francophile qui a reçu en 2021 le prix de l’Union européenne pour son premier roman Le livre d’Elias.

Philosophe et poète, il est un acteur incontournable de la scène artistique malienne. Connu comme critique d’art et professeur d’esthétique, il dirigeait jusqu’en 2008 une galerie d’art à Bamako avant d’être contraint de la déplacer, puis de la fermer, pour des raisons de sécurité dans le pays.

Son roman, œuvre hybride à la croisée de plusieurs genres, raconte l’impact du terrorisme sur les vies de simples gens. Ici, point de sensationnel ni de longues descriptions de scènes de terreur, l’écrivain s’attache plutôt aux émotions et aux sentiments, et dépeint la peur qui rétrécit leur quotidien.

Lors du coup d’Etat au Mali, j’étais en Chine pour un concours de photographie. Lorsque j’ai appris la nouvelle, un éclat s’est produit en moi

Chab Touré

Puis, quelques temps après, il y eut l’invasion de trois villes au nord, l’éclat est devenu "déflagration". Il garde ça en lui, tente de rester serein, puis le Covid arrive à son tour et l’oblige à s’enfermer avec sa famille : Je suis retourné en moi, tout était en vrac dans ma tête, il fallait que ça sorte. J’ai écrit trois livres en quatre mois ! Dont ce premier roman, salué par la critique.

Quand on lui demande ce qu’il apprécie dans cette première résidence d’écrivain, il répond, heureux : Être dans la même chambre que mon livre est un luxe. Au Mali je n’ai pas cette possibilité, ici je peux remonter mes rêves et les écrire dès mon éveil, je peux écrire dès que j’ai une idée. C’est comme si j’avais fini d’écrire mon livre, la structure est très claire.

L’échange se poursuit, on écoutera beaucoup d’anecdotes savoureuses, dont l’origine de son surnom, intimement lié à l’écrivain Jean-Pierre Chabrol.

Une histoire d'amour avec les Nordistes

Printemps des poètes oblige, Marianne Petit orchestre la fin de cette rencontre par la lecture de poèmes soigneusement choisis par les trois auteurs. Le public est ensuite invité à rejoindre Fanny Chiarello, Adèle Rosenfeld et Chab Touré dans le hall pour échanger et faire dédicacer leurs livres. La librairie Calibou & Co est spécialement venue de Godewaersvelde pour l’occasion.

Autour d’un verre de l’amitié, des questions, des compliments et des sourires sincères sont partagés. Dominique Verhoest, qui a longtemps travaillé à Bailleul et connaît bien les lieux, est venue de Ypres pour l’occasion : C’est toujours une surprise de venir ici. On y fait des rencontres humaines et artistiques surprenantes, parfois même bouleversantes. On découvre et on vient en confiance, même si au départ on ne connait pas les auteurs ! Ça se passe à la Villa, alors c’est sûr, ce sera bien !

Tout est dit.

La Villa Marguerite Yourcenar fait briller le Nord et la littérature

En 2022, près de 9 000 Nordistes ont été touchés par les actions de la Villa Marguerite Yourcenar. Marianne Petit, sa directrice, en témoigne : La Villa est un centre d’expérimentation, les auteurs viennent en confiance. Nous sommes une véritable vitrine de la littérature contemporaine. Ici on parle de tous les sujets, et on fait découvrir notre magnifique département aux auteurs qui pour certains reviennent avec plaisir. Pour 2024, le comité de sélection a déjà reçu 99 demandes de résidence. Il faudra faire un choix, les places sont limitées !

Télécharger le programme 2023 des résidences d'écrivains à la Villa Marguerite Yourcenar (PDF - 1.92 Mo)
Illustration
L'Évaporée, de Fanny chiarello et Wendy Delorme, éditions Cambourakis / Les méduses n'ont pas d'oreilles, de Adèle Rosenfeld, éditions Grasset / Le livre d'Élias, de Chab Touré, éditions La Sahélienne

Crédits photo : Département du Nord, I. Dalle

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