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15 septembre 2023
Illettrisme : un parcours à La Clé, ça change tout !
Depuis près de 40 ans, l'association La Clé accompagne des personnes en situation d'illettrisme dans la métropole lilloise. Mais son rôle ne s'arrête pas là ! Avec le temps, elle s'est adaptée à toutes les personnes qui ont, de près ou de loin, des difficultés avec la lecture. Rencontre avec Sonia Moussay, directrice de l'association.
Située dans le centre de Lille, La Clé est soutenue par le Département via la Médiathèque départementale du Nord. Sonia Moussay en a pris la direction il y a 20 ans après y avoir été coordinatrice pédagogique à ses débuts. Avec toujours autant de ferveur et d’engagement, elle répond à nos questions.
Comment est née La Clé ?
Sonia Moussay : La Clé existe depuis 1985, elle a été créée à l’initiative de deux sœurs dominicaines, institutrices à la retraite. Sollicitées par des gens de leur quartier centre de Lille qui avaient des difficultés de lecture et ne pouvaient aider leurs enfants, elles ont commencé par accueillir quelques élèves pour l’aide aux devoirs, puis leurs parents, jusqu’à ce que leur maison de la rue Jean-Sans-Peur ne devienne trop petite pour cette activité.
Elles repèrent alors une maison de la rue Deconynck qui peut leur être mise à disposition, mais à condition qu’elles créent une association. De là est née Lille Association Compter Lire Écrire, « La Clé ».
Notre équipe compte aujourd’hui 9 salariés, et de 8 personnes accompagnées aux tout débuts, nous sommes passés à 750 !
À qui s'adresse l'association et que propose-t-elle ?
S.M. : La Clé s’adresse d’abord à des adultes qui ne savent pas lire, écrire, compter, soit en situation d’illettrisme, soit d’analphabétisme. On a ensuite des étrangers, jeunes et adultes, qui veulent apprendre la langue française, qui ont été scolarisés dans leur pays d’origine, savent apprendre, mais doivent être guidés en arrivant ici. Enfin, nous suivons les élèves en grande difficulté scolaire, du CP à la terminale, pour les outiller et leur permettre de devenir autonome dans leur travail.
En face, nous avons entre 550 et 600 formateurs bénévoles au sein de l’association. Un tiers d’entre eux vient de l’Enseignement, un autre tiers est composé d’étudiants, et enfin, un dernier tiers comprend toutes sortes de catégories socioprofessionnelles. C'est très important aussi car cela nous permet de proposer un grand nombre de profils à nos apprenants et de nous adapter au mieux à leurs besoins et à leur caractère.
À partir de là, nous allons chercher le bon formateur pour le bon apprenant. Ils s’engagent alors à se rencontrer une ou deux fois par semaine ici, à la même heure, dans la même salle… ou en visio s’ils ne peuvent pas faire autrement. Au fond, nous sommes une sorte d’agence de rencontres, mais avec un objectif pédagogique !
Illettrisme, analphabétisme, FLE... de quoi parle-t-on ?
On parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. L'analphabétisme désignent quant à lui des personnes qui n’ont jamais été scolarisées, il s’agit pour elles d’entrer dans un premier niveau d’apprentissage. À différencier du FLE (Français Langue Etrangère) qui concerne les nouveaux arrivants qui ne parlent pas le français mais qui maîtrisent leur langue natale. Il s’agit pour eux d’apprendre la langue et l'écrit de leur nouveau pays de résidence.
Avez-vous une approche particulière pour les personnes en situation d’illettrisme ?
S.M. : Oui tout à fait. Nous savons que pour ces personnes, la démarche d’apprentissage n’est pas évidente, nous les accueillons donc tout au long de l’année s’ils en manifestent le besoin. En général, ils peuvent très bien être pris en charge par les centres de formation avec qui nous sommes partenaires, mais parfois ils ont besoin de notre association comme marchepied, simplement pour entamer leurs parcours.
Ici, les personnes en situation d’illettrisme ne sont pas obligées de montrer à tous qu’elles sont en difficulté, elles se sentent en sécurité, on les déculpabilise et on les valorise. Une fois que la personne aura pris goût à l’apprentissage, une ou deux heures par semaine ne lui suffiront plus, c’est là qu’on l’oriente ailleurs, à son bénéfice. Nous ne sommes pas voués à garder les apprenants à vie, nous travaillons dans la complémentarité avec les centres de formation.
Nous sommes un tremplin pour nos apprenants. Ici nous voyons des personnes renaître, et ça c’est formidable !
Notre but commun est de faire en sorte que l’apprenant ose et entreprenne, et pas seulement pour la lecture et l’écriture. On souhaite qu’il s’autorise à entrer dans un musée, à faire ses démarches administratives, s’épanouir socialement… au fur et à mesure que la personne progresse dans ses savoirs de base, elle élargit son pouvoir géographique.
Vous êtes basés à Lille, intervenez-vous aussi ailleurs ?
S.M. : Sur notre antenne de Lille, rue Deconynck, nous accueillons environ 150 adultes en lecture-écriture, 250 jeunes et adultes en français langue étrangère, et un peu plus de 200 scolaires, soit entre 600 et 620 personnes chaque année. Pour répondre à une forte demande, nous ouvrons également une antenne à Tourcoing cette année.
Hors les murs, nous intervenons dans 5 écoles de Lille Sud, 3 écoles de Roubaix, et auprès de 40 autres élèves en grande difficulté scolaire dans le cadre du Dispositif de Réussite Éducative. Nous suivons aussi quelques-uns de leurs parents qui ont des difficultés avec la langue française et qui ont besoin de fluidifier les relations avec l’établissement scolaire ; avec notre aide et celle de l’équipe pédagogique, ils se sentent inclus et deviennent souvent bien plus impliqués dans les études de leurs enfants.
Enfin depuis 4 ans, nous avons également un partenariat avec le Théâtre de l’Idéal à Tourcoing : on y organise des cours sur place, et les apprenants peuvent assister aux spectacles et participer aux ateliers, comme la chorale allophone par exemple. Encore une fois, par ces actions, nous essayons d’ouvrir des portes aux personnes en difficulté avec le français : une fois qu’elles sont entrées dans le lieu, cela devient naturel pour elles d’y retourner.
Quand on ne peut plus accueillir ou suivre de nouveaux apprenants, nous ne les abandonnons pas, nous les orientons vers d’autres structures qui seront également à même de les aider, la confiance est essentielle.
Envie de donner un peu de temps à l'association ? Contactez l'équipe de La Clé, elle pourra vous accompagner et vous former !
Crédits photo : I. Dalle