Culture | Valenciennois, Douaisis
30 novembre 2022
Lire aux bébés, est-ce bien raisonnable ?
"Il est trop petit, il ne parle pas, il n’est pas concentré"… Y a-t-il un bon âge pour commencer la lecture aux tout-petits ? L’association La sauvegarde du Nord, soutenue par le Département, intervient un peu partout dans le Nord et apporte indirectement une réponse à cette question. À la PMI de Denain, on a suivi Nadia Thilliez, l’une de leurs lectrices engagées.
Les experts en sont convaincus : dès la naissance, le bébé aime lire ! Plus exactement, il est réceptif à la lecture. Sensible, il absorbe les sons et réagit de tout son corps à la voix et au visage de ses parents. Il s’apaise au son d’une mélodie entendue dans le ventre de sa mère, ou d’une comptine lui revenant en ritournelle.
Au commencement naît le babil
Alexandre a deux mois tout juste, bien au chaud dans son landau, il se réveille à peine. Dans la salle d’attente de la consultation PMI (Protection Maternelle et Infantile) de Denain, sa maman et son papa semblent préoccupés. La première s’assoit, déshabille un peu son bébé, le prend sur elle. Le second reste debout. Nadia est là aussi. Nadia Thilliez, lectrice professionnelle pour Lis avec moi de l’association La sauvegarde du Nord. Elle s’approche lentement du petit et commence par demander de ses nouvelles. Des petits, elle en a vu des centaines au fil des ans, mais chaque rencontre est unique.
Tout doucement, elle propose deux livres à la maman : lequel choisissez-vous ?
. Celle-ci semble un peu gênée, mais
sourit et pointe le doigt sur l'ouvrage "Pour qui ce petit bisou" de
Bénédicte Guettier. Pour qui ce petit bisou ? Pour le petit
chat ? Mais non, il dort déjà… Pour le biberon ? Bien sûr que
non !...
.
Parfois, c’est le papa et la maman qui en écoutant l’histoire s’apaisent, puis le bébé aussi, par transmission
Alexandre remue comme un vers, il se tortille de douleurs sous ses coliques du nourrisson et reste encombré par une bronchiolite. Nadia fait une pause, le laisse reprendre son souffle, puis de sa douce voix reprend sa lecture et petit à petit apaise le nourrisson.
Jouer avec les mots et les émotions
Vers 2-3 ans, c’est l’âge d’or de la lecture à voix haute. L’enfant commence à parler, développe son langage et prend conscience des signes de l’écriture. Il cherche à comprendre ce qu’ils veulent dire et sa curiosité s’aiguise. Les parents et professionnels qui entourent le petit ont alors un rôle crucial à jouer.
Nadia Thilliez le sait, elle manie les mots de sa voix douce et posée : Pomme, pomme, pomme… pommier, poum…tombée
! Sur cette histoire de Corinne Dreyfus, Ilaf l’écoute. Avec sa maman Aïcha, elle attend son tour pour la consultation. Du haut de ses 20 mois, elle ne semble pas rassurée par la présence de cette dame qu’elle ne connaît pas encore, mais son regard oscille entre ce nouveau visage et les pages colorées de ce livre tout en rythme. On ne pourrait être plus concentrée à cet instant. La magie opère, sa maman est sous le charme et repartira de la PMI en espérant bien bénéficier de nouvelles lectures lors de sa prochaine visite.
Elle promet également d’aller faire un tour à la médiathèque
de Denain qu’elle ne fréquente pas encore. Car si Nadia Thilliez lit des
histoires, elle en profite aussi pour faire la promotion des bibliothèques de
la Porte du Hainaut avec lesquelles elle travaille : regardez, ces
spectacles sont pour les petits, ils sont gratuits, il suffit juste d’appeler
pour réserver. Vous pouvez aussi y trouver plein de livres, des revues pour
enfant, et plein d’autres choses encore
.
Pour Tiago, deux ans aussi, ce sera une comptine classique Picoti picota illustrée par Antonin Louchard. Dès que Nadia entame
la chansonnette, Tiago sourit et ses yeux s’illuminent. Sa maman Kimberley
chante également, et accompagne le geste à la parole en tournant ses mains en
l’air. Elle explique : il réagit plus à ce qu’il voit qu’à ce qu’il
entend. La puéricultrice m’a conseillé d’utiliser mes mains quand je lui parle
afin de mieux capter son attention, alors j’ai l’habitude de lui chanter
beaucoup de comptines.
Parle-moi, mais surtout raconte-moi une histoire !
Entre 2 et 5 ans, le langage de l’enfant se structure et se complexifie. Les spécialistes distinguent le langage quotidien qui se vit entre proches dans une situation vécue, du langage raconté, plus structuré qui va servir à exprimer toute la pensée avec des mots. S’approprier et jouer avec cette langue racontée est fondamental pour un épanouissement de la personnalité et un apprentissage réussi de la langue écrite.
Pour contribuer à cet apprentissage, Nadia Thilliez tourne
aussi dans les écoles maternelles, élémentaires, et en centres de loisirs. Émue, elle se souvient d’une rencontre avec un enfant de CP qui avait soif de
lire, elle raconte : après avoir lu mon histoire à la classe, le
petit s’est levé, m’a pris le livre des mains et a voulu le lire à voix haute à
ses camarades. Comme il ne maîtrisait pas encore bien la lecture, nous avons lu
le texte en duo, c’était merveilleux !
Retour à Denain. Clément, 5 ans, est à la PMI avec sa mère et sa grand-mère. Nadia lui raconte une histoire, puis une autre. Il est calme, très concentré sur les images et la voix de sa narratrice. Lorsqu’on lui demande quel est son livre préféré à la maison, il répond : « celui avec un camion ».
Alors Nadia lui propose un album sans texte, Oh ! de Josse Goffin, où les images
s’ouvrent et se ferment, se transforment comme des devinettes visuelles. Ici
pas besoin de mots, on regarde et on s’amuse, l’imagination tourne à fond.
Nadia Thilliez aime aussi apporter ce genre de livres lorsqu’elle vient à la
rencontre des tout-petits et de leurs proches : les livres sans
texte permettent d’ouvrir la discussion. Ils décomplexent les parents
.
Semer les graines de la curiosité
Au fil des séances, Nadia Thilliez voit des changements. Elle ne force jamais, laisse venir… Des parents peu convaincus par la lecture le deviennent en regardant leur enfant découvrir les livres.
Parfois ce sont les enfants qui arrivent à convaincre leurs parents, par une attitude, un rire, une réaction…
C’est un travail de patience, qui a tout son sens dans un département comme le Nord où le taux d’illettrisme est élevé.
La lectrice n’en est pas arrivée là par hasard, avant de travailler pour Lis avec moi, elle était éducatrice de jeunes enfants et sait comment le livre peut aider à traverser des situations et aider à grandir sereinement. Comme toutes ses collègues, elle choisit minutieusement ses titres et sait s’y repérer dans l’océan de la littérature jeunesse. Comme pour les adultes, on y trouve le pire comme le meilleur, elle précise : j’ai un budget pour aller en librairie, mais j’emprunte surtout dans les médiathèques de mon secteur, j’ai de la chance, elles sont formidables !
.
Nadia Thilliez va aussi à la Médiathèque départementale du Nord où un fonds petite enfance est à disposition des professionnels. Elle suit des formations, participe à des comités de lecture pour échanger sur les nouveautés, celles qui plaisent, et celles qui méritent d’être promues. Ce jour-là en PMI, elle a rapporté Le ciel de Cécile Roumiguière et Marion Duval : suivant une palette aux couleurs du ciel, l’enfant quitte son univers réconfortant pour laisser son imaginaire s’envoler à la découverte de l’immensité du monde. L’album est un monument de poésie, Nadia est heureuse de pouvoir le partager.
La Médiathèque départementale nourrit l'imaginaire des bébés
Depuis sa création en 1982, la Médiathèque départementale du Nord (MdN) œuvre pour la promotion et la diffusion de la littérature jeunesse auprès des enfants nordistes, y compris les bébés. Avec son adhésion au dispositif national Premières pages, les bibliothécaires du Département accompagnent toujours plus les structures et associations liés à la petite-enfance et participent à la lutte contre l’illettrisme dès le plus jeune âge.
Ilaf, Alexandre, Tiago, Clément, et bien d’autres encore auront croisé le chemin de la lecture le temps d’une consultation en PMI. Il y aura eu des rires, de l’étonnement, des silences aussi. Mais surtout des parents charmés par toutes ces réactions que Nadia Thilliez a su leur insuffler. Grâce à cette géniale lectrice engagée, et beaucoup d’autres de ses collègues, des graines de curiosité germeront sûrement chez ces tout-petits. Avec de la patience et des convictions, de nombreux bouts de chou remercieront sûrement un jour ces précieux adultes de les avoir menés sur le chemin complexe de l’apprentissage du langage.
Crédits photo : Isabelle Dalle