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29 avril 2024
Sur les traces du cycliste Charles Crupelandt avec Pascal Sergent
À l’occasion du Grand Départ du Tour de France 2025 prévu à Lille, Pascal Sergent, président du Comité régional de cyclisme et spécialiste de l’histoire du vélo dans le Nord, revient sur l'épopée de Charles Crupelandt : l'un des grands animateurs de la petite reine avant la Première Guerre mondiale auquel il avait consacré un livre à la fin des années 1990.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au cycliste roubaisien Charles Crupelandt ?
Pascal Sergent : C’est un Roubaisien comme moi, et quand je me suis penché sur le sujet, j’ai trouvé que Charles Crupelandt était complètement tombé dans l’oubli, comme beaucoup de champions de l’époque. Je pensais nécessaire de faire revivre ce coureur qu’on retrouve en première ligne dans sa discipline, avant 1914.
Où se situe sa place dans le peloton ?
P.S. : Avant la guerre, il y a deux champions qui dominent le cyclisme européen : le Français Octave Lapize et le Luxembourgeois François Faber qui sont hors norme pour l’époque. Ils ont gagné le Tour de France et les principales classiques. Dans le petit peloton juste derrière, on retrouve des coureurs comme le Belge Cyrille Van Hauwaert et les Français Emile Georget, Gustave Garrigou et… Charles Crupelandt.
Il avait notamment un surnom qui parle pour lui…
P.S. : Effectivement ! On l’appelait "le taureau du Nord", parce qu’il était d’une résistance importante, mais comme beaucoup de coureurs en fait. Il faut savoir qu’ils roulaient sur des vélos qui pesaient 20 à 25 kg. Sur les étapes du Tour, ils faisaient 400 kilomètres. Ils partaient la nuit, arrivaient en fin de soirée le lendemain. Ils étaient véritablement des athlètes, des "forçats de la route", comme on a pu les appeler à cette époque-là.
Quel est le palmarès du coureur roubaisien ?
P.S. : Ses premiers résultats datent de 1900 chez les jeunes. Puis il est appelé sous les drapeaux, de mémoire, en 1907 et 1908, et il reprend la compétition fin 1909. Charles Crupelandt gagne ensuite deux fois Paris-Roubaix en 1912 et 1914. Il gagne aussi Paris-Tours en 1913, qui était une épreuve d’importance quasiment à l’égal de Paris-Roubaix. Et il est aussi champion de France en 1914, donc le dernier titre national décerné avant la Première Guerre mondiale. Entre 1910 et 1914, le Roubaisien est vraiment une des vedettes du cyclisme.
Et sur le Tour de France ?
P.S. : En 1910, il finit sixième au général, et remporte la première étape qui reprend le parcours de Paris-Roubaix. Il s’impose à Roubaix avec, je crois, une quinzaine de minutes d’avance. En 1911, il se classe quatrième au général en remportant deux étapes. Henri Desgrange, le patron du Tour, considère d’ailleurs Charles Crupelandt comme un vainqueur potentiel de l’épreuve. D’autant plus qu’il grimpe bien dans la montagne. Sur le Tour 1911, il gagne l’étape de Grenoble, après avoir passé plusieurs cols. Il avait donc toutes les capacités pour pouvoir s’illustrer, et peut-être gagner le Tour. Le Nordiste était, ce qu’on peut appeler un coureur complet.
Être une vedette à cette époque-là, ça signifie quoi ?
P.S. : Ça signifie être connu dans sa ville (rires) ! Je caricature un peu, parce que parmi cette élite, il n’y a pas 500 coureurs de ce gabarit-là. Les meilleurs sont dans des équipes structurées comme la Française-Diamant, ou chez Peugeot, ou chez Alcyon. Aux arrivées du Tour de France, il y a beaucoup de monde. Pour Paris-Roubaix, les routes sont occupées comme aujourd’hui, le vélodrome est plein ! Donc, ce sont déjà des stars, on peut le dire, même si dans la presse, quand Charles Crupelandt gagne, on sait que c’est la bicyclette de la Française-Diamant qui s’impose, et on voit le nom du vainqueur en tout petit. C’est l’époque qui veut ça : on parlait d’abord du vélo et accessoirement du cycliste.
La guerre a mis un terme à tout ça…
P.S. : Oui ! Sa période dorée, c’est 1910-1914 ! Il gagne ses principales épreuves. Après, ça a été plus compliqué. Pendant le conflit, il est touché par un éclat d’obus, et est gravement blessé aux jambes, ce qui ne l’empêchera pas de reprendre le vélo après. Il reçoit la Croix de guerre pour bravoure au combat, mais se retrouve à Paris sans moyens de subsistance. C’est là qu’il commence à voler des batteries de voiture. Ces quelques délits, mineurs pour l’époque, l’empêcheront de reprendre une licence en 1919, en raison d’une cabale à son encontre.
Pour quelles raisons ?
P.S. : Parce que Henri Pelissier, qui est l’autre vedette d’après-guerre, estime qu’il faut à tout prix écarter Charles Crupelandt. Il y a toute une histoire, y compris en justice, parce que l’UVF, l’Union vélocipédique de France, refuse sa licence en 1919, notamment pour ces faits de droit commun. Ce sera le drame de sa vie. Il s’inscrira dans une fédération parallèle, la Société des courses, où il sera deux fois champion de France, mais sa carrière est terminée. C’est cruel, parce qu’il était en pleine force de l’âge, et aurait pu performer de manière très importante au début des années 1920.
Crédits photo : Jean-Baptiste Allouard