Famille Santé
30 octobre 2024
Movember : le point sur les cancers masculins avec le Pr Penel
Quand ils ne sont pas métastatiques, les patients guérissent du cancer de la prostate et du cancer du testicule dans 90% des cas. Mais encore beaucoup d'hommes trouvent le sujet tabou, et tardent à se faire dépister lorsque les premiers signes apparaissent. On a fait le point sur la situation avec le Pr Penel, oncologue au Centre Oscar Lambret à Lille.
Quelles sont les statistiques sur ces deux cancers ? Le Nord est-il plus touché ?
Pr Penel : Ce sont des maladies complètement différentes.
Le cancer de la prostate est le plus répandu chez l'homme. Actuellement en France, on estime à 650 000 le nombre d'hommes porteurs de ce cancer, diagnostiqué dans les 5 ans. Le Nord n'est, ni plus ni moins, affecté que le reste du pays.
Le cancer du testicule est beaucoup plus rare. On recense 2500 nouveaux cas en France par an.
Il faut aussi préciser que ces deux cancers touchent des classes d'âge très différentes. Pour la prostate, il touche les hommes autour de 69 ans en moyenne. Alors que celui du testicule touche surtout les garçons adolescents et les jeunes adultes entre 20 et 40 ans.
Y-a-t-il des facteurs de risque ?
Pr Penel : Pour les deux types de cancers, les facteurs ne sont pas très bien établis.
Pour le cancer de la prostate, le facteur de risque est surtout l'âge : plus on vieillit, plus le risque augmente. La sédentarité et la faible activité physique jouent aussi. Par ailleurs, une fraction faible des cas déclarés est aussi liée à des facteurs génétiques, il existe des familles prédisposées aux cancers du sein, des ovaires et de la prostate.
Ce qui est nouveau cette année, c'est la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle. Cela concerne certains agriculteurs, exposés aux produits phytosanitaires.
Pour le cancer du testicule, le premier facteur associé est le fait que le testicule ne soit pas descendu pendant l'enfance, lorsqu'il reste dans le ventre et n'est pas descendu dans la bourse (la cryptorchidie). Il existe aussi un lien entre infertilité et cancer du testicule.
Finalement, on a peu d'éléments sur lesquels on peut agir. Contrairement à d'autres, ces cancers ne sont pas liés au tabac ou à l'alcool par exemple.
Quels sont les symptômes précoces et comment se faire diagnostiquer ?
Pr Penel : La plupart des cancers de la prostate sont découverts sans symptômes. C’est l’élévation du taux de PSA (Prostate-specific antigen) dans la prise de sang qui indique une anomalie. D’autres signes peuvent alerter chez les hommes autour de 65 ans : s'ils éprouvent une gène ou une difficulté à uriner, ou qu’ils doivent uriner plus souvent, notamment.
Comme il n'y a pas de campagne nationale de dépistage, pour le déceler, il faut faire une prise de sang et/ou faire un toucher rectal. Ce n'est pas évident pour le patient, mais c'est le meilleur moyen d'être sûr.
Le cancer du testicule est plus facilement détectable. Le plus souvent, la taille du testicule augmente, il y a une grosseur, une boule. On encourage l'autopalpation pour déceler une éventuelle anomalie.
On constate cependant que les hommes ont encore honte de consulter. Comme il s’agit d’une partie intime de leur corps, ils peuvent laisser grossir la tumeur pendant des mois avant d'en parler au médecin. C’est encore plus délicat pour un ado : entre 15 et 20 ans, on ne sait pas toujours si un changement corporel est normal ou pas. Là-dessus on insiste : il faut vraiment prendre rendez-vous dès qu'on a un doute.
Quels sont les traitements possibles ?
Pr Penel : Tout d'abord il faut rappeler que ce sont des cancers de très bon pronostic.
Même quand il est métastatique, on a des taux de guérison du cancer du testicule à plus de 90%. Mais cela implique de suivre un protocole parfaitement établi qui ne laisse pas de place à l'improvisation : on va d'abord retirer le testicule malade. Pour préserver sa fertilité future, le patient fera un prélèvement de sperme. Puis en fonction des résultats des bilans, on mettra en place une chimiothérapie, et on ôtera des métastases, éventuellement.
Pour le cancer de la prostate, c'est la révolution thérapeutique permanente. Mais il faut distinguer deux situations : le cancer localisé, et le cancer métastatique.
Dans le premier cas, il se guérit très bien, on compte 90% de survie à 5 ans. Ce type de cancer laisse place à des traitements individualisés, il y a beaucoup d’options, le patient a toute sa place dans le choix de la thérapie. Pour les tout petits cancers, on peut opter pour une surveillance active. Ensuite il y a la chirurgie et la radiothérapie, qui devient de plus en plus fine.
Dans le second cas, le cancer de la prostate métastatique ne peut pas se guérir. On a cependant de plus en plus de traitements à proposer aux patients pour freiner l’évolution de la maladie et préserver sa qualité de vie. L’hormonothérapie, la chimiothérapie sont les options les plus classiques. Mais depuis deux ans environ, on adopte aussi les traitements radioactifs injectables : ce sont des perfusions de produits qui vont se fixer sur les cellules cancéreuses et les détruire par radioactivité.
Et en terme d'accompagnement psychologique ?
Pr Penel : Lorsque les patients le demandent, bien sûr, on peut les orienter vers un professionnel qui les aidera sur le plan psychologique. Mais il y a encore beaucoup de réserve chez les hommes. Les femmes se sont organisées très tôt pour faire face au cancer du sein, on trouve énormément d'associations qui les aident à faire face. Ce n'est pas le cas pour les cancers masculins.
Heureusement depuis quelques années, il existe l'association CerHom, elle intervient au niveau national pour informer et créer une solidarité entre anciens et nouveaux patients atteints d'un cancer masculin.
Où en sont les avancées scientifiques ?
Pr Penel : Pour le cancer des testicules, la question est : "peut-on être aussi efficace avec des traitements moins toxiques ?". C'est une réflexion sur la désescalade thérapeutique. Un patient qui réagit bien à la première chimio pourra-t-il par exemple faire une seconde chimio moins lourde ?
On travaille aussi beaucoup sur la qualité de vie.
Pour le cancer de la prostate localisé, on cherche à savoir ce qui est le plus efficace en étant le moins toxique. Ici au Centre Oscar Lambret, plusieurs études sont en cours. Notamment autour de la radiothérapie et la réduction des séances, ou de la complémentarité des traitements.
Pour le cancer de la prostate métastatique, on cherche à mieux positionner les différents traitements, les uns par rapport aux autres. Le traitement radioactif injectable était, à ses débuts, utilisé en dernier recours. Désormais, il est de plus en plus fréquent dans la prise en charge du patient.
Un message à faire passer ?
Pr Penel : Il faut rester attentif aux symptômes, pratiquer l'autopalpation des testicules régulièrement, et surtout, consulter un médecin si l'on a une inquiétude ou que l'on constate une anomalie, une gène.
Ce n'est pas parce qu'on est un homme qu'on doit garder ses inquiétudes pour soi. En dépassant le tabou, on intervient plus tôt dans la maladie et on augmente ses chances de guérison.
Crédits photo : I. Dalle