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3 avril 2023

Le vélodrome de Roubaix, c'est toute une histoire !

Lieu d'arrivée mythique de Paris-Roubaix, le vélodrome André-Pétrieux décide du dénouement de l'Enfer du Nord. Si ce patrimoine pouvait parler, il en aurait des histoires à raconter…

C’était comme si on avait enlevé les pavés au Paris-Roubaix. Gilbert Duclos-Lassalle en souffre encore. Entre 1986 et 1988, le dernier calvaire de "l’Enfer du Nord" était une banale bande de bitume. Avenue des Nations-Unies, devant le siège de La Redoute – sponsor de l’épreuve –, Sean Kelly, Eric Vanderaerden et l’inattendu Dirk Demol ont levé les bras. Mais sans les ultimes mètres dans le vélodrome de Roubaix et sa piste en béton, la magie n’y était plus estime le Béarnais, amoureux de l’épreuve, encore éconduit à l’époque.

Ce dimanche 7 avril, et après 257,5 kilomètres, la reine des classiques aura de nouveau pour dénouement l’anneau André-Pétrieux, du nom d’un ancien conseiller municipal et bistrotier de Roubaix. Un patrimoine une première fois détruit en 1924 et reconstruit en 1936. Ouvert sur le ciel, l’endroit a, depuis 2012, un voisin couvert plus moderne, le vélodrome Jean-Stablinski. Ce dernier sert de centre de presse et laisse la vedette à son aîné durant un week-end dans l'année. Pour un épilogue d’un autre temps.

En effet, le cyclisme ne tourne plus en rond depuis les années 1970. À l’époque, les arrivées sur piste passent de mode. En 1973, Liège-Bastogne-Liège abandonne le vélodrome de Rocourt, et, 12 ans plus tard, le Tour de Lombardie dit adieu au mythique Vigorelli de Milan. L’air du temps a englouti la géographie des vélodromes. Aujourd’hui, le premier est devenu un cinéma, et le second accueille des matchs de football américain, détaille le journaliste Laurent Galinon.

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En 1981, Bernard Hinault, champion du monde en titre, remporte Paris-Roubaix au vélodrome, une course qu'il détestait ! Sur la ligne d'arrivée, il déclarait : "J'ai pas changé d'avis : c'est une course à la con !"

Dans son livre Classiques (Hugo Sport, 334 pages), ce Béarnais raconte les cinq monuments du cyclisme (Milan-San Remo, Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et Tour de Lombardie) à travers leurs champions, mais surtout leurs lieux, objets de fétichisme.  Le public est constitué à 90% de Flamands venus encourager Roger De Vlaeminck, le quadruple vainqueur de l’épreuve.

"Le sortilège du vélodrome"

Le plus habile et féroce sur les pavés peut tout perdre sur cette piste de 500 mètres à parcourir une fois et demie, soit 750 mètres. Sur une piste, les lois de la physique ne sont plus les mêmes avec l’inclinaison. Il faut être malin, opportuniste et instinctif, or il y a le temps de tergiverser. C’est ce que j’appelle le "sortilège du vélodrome", théorise Laurent Galinon. En 2016, Tom Boonen va battre le record de victoires de De Vlaeminck, mais il a les jambes qui flageolent et se fait surprendre par Mathew Hayman. 

Le Belge a toujours ses quatre victoires pour se consoler. D’autres restent à jamais des maudits du vélodrome. Il y a un Steve Bauer battu pour l’épaisseur d’un demi-boyau par Eddy Planckaert (1990), un Sep Vanmarcke et ses litres de larmes déversés après sa deuxième place derrière Fabian Cancellara (2013)... Ou encore cette histoire franco-française de 1997.

Cheveux noirs au vent et pilotage kamikaze, Frédéric Moncassin voltige sur les pavés. Mais les 750 derniers mètres sont de trop pour le Toulousain. La faute à l’attentisme d’Andreï Tchmil, qui reste collé derrière lui, et au retour de six poursuivants à l’entrée du vélodrome. Frédéric Guesdon (25 ans) en fait partie. Il est le moins connu et a bénéficié d’une fraction de seconde pour saisir la chance d’une vie. Pourtant, quand j’attaque, ce n’est même pas pour gagner, mais dans l’idée de mettre au moins un ou deux mecs derrière moi, en rigole encore l’actuel directeur sportif de la Groupama-FDJ.

Les souvenirs de l’école de vélo sont loin, et le Breton craint ce sprint à huit pour "pistards". Il craint surtout de provoquer une chute, d’envoyer un [Johan] Museeuw avec son maillot de champion du monde au sol. Alors il prend les devants, se retourne, persuadé d’être revu, mais son destin est devant lui : celui du dernier vainqueur français en date.

Sprint de légende 

Loin de la gloire et des honneurs, le vélodrome est aussi ce paradis promis au bout de l’enfer. Encore faut-il être ponctuel. Il y a quatre ans, le Lituanien Evaldas Siskevicius pointe une heure après Peter Sagan et trouve les grilles fermées. En 1978, le jeune Duclos-Lassalle est mis au parfum par son coéquipier, Jean-Pierre Danguillaume. Il me dit : "Môme, si tu arrives trop tard, le vélodrome sera fermé". Toute la course, je m’accroche à l’idée de finir avant. Je fais 28e, mais, au-delà de la place, l’important c’était d’effectuer ce dernier tour de piste.

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Le vélodrome aujourd'hui.

"Gibus" (son surnom) attend 1992 pour défiler en vainqueur. Il a 37 ans. L’année suivante, son sprint victorieux contre Franco Ballerini entre dans la légende. Au téléphone et sur son tracteur, Duclos-Lassalle rejoue le film. En vitesse pure, Ballerini était plus rapide et m’aurait sans doute battu sur route, admet-il. Mais j’étais plus à l’aise que lui sur piste pour avoir disputé pas mal de Six Jours [compétitions de cyclisme sur piste]. Je me suis lancé à mi-pente et j’ai pris de la vitesse pour le surprendre au démarrage. Dans la ligne droite, je l’oblige à s’écarter vers la balustrade, ce qui l’a pénalisé et m’a permis de le battre pour huit centimètres

Le sortilège de Roubaix a eu raison de l’Italien. Styliste hors pair sur les pavés, Ballerini finit par le rompre en 1995, puis s’impose de nouveau en 1998. Dimanche, Duclos-Lassalle aura une pensée émue pour son ancien rival, décédé en 2010, lors d’un rallye automobile. Invité d’honneur pour les trente ans de son premier succès, il n’a pas prévu de passer une tête par les fameuses douches, dont chacune porte le nom d’un vainqueur.

Douches froides

Aujourd’hui, les fameuses douches du vélodrome ne sont plus qu’un élément pittoresque, les coureurs préférant les cars aménagés de leur équipe. La première année, elle était froide pour moi. C’était la punition du vainqueur, sourit Duclos-Lassale. Mais je m’y suis toujours douché, sauf en 1993, à cause de toutes les sollicitations médiatiques. Quand mon fils Hervé a fini ses deux Roubaix, il s’est lavé dans la douche de son père. Il m’avait dit : "Je suis comme chez moi". Comme le cyclisme au vélodrome de Roubaix.

Crédits photo : Archives départementales du Nord, Vélo-club de Roubaix

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