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23 février 2023
Joël Pamart : itinéraire d'un ancien mineur rescapé
Il anime de passionnantes visites au Centre historique minier situé sur le carreau de l’ancienne fosse Delloye à Lewarde. Rencontre avec Joël Pamart, ancien mineur de 63 ans, que nous aurions pu écouter des heures durant.
Avec son bleu de travail et son casque sur la tête, Joël Pamart est l’un des piliers du Centre historique minier. Lorsque nous le croisons dans les couloirs, il s’apprête à animer une rencontre avec les nombreux visiteurs de l’après-midi. Réservé, il continue pourtant jour après jour à témoigner pour faire vivre la passionnante, et parfois dramatique, histoire minière.
La mine, il l’a dans la peau : Je suis fils et petit-fils de mineur, du côté paternel et maternel.
Et s’il a tant voulu suivre le modèle familial, c’était surtout pour le statut.
Travailler pour les Houillères, c’était avoir un logement, le chauffage au charbon et les soins médicaux pour toute la famille.
Âgé de 19 ans, une fois son service militaire achevé, marié et père d’une petite fille, Joël Pamart n’hésite donc pas. Il rejoint l’école de Billy-Montigny pour une formation théorique et pratique. Et le voilà galibot, apprenti mineur. La première fois que je suis descendu au fond, ça ne m’a rien fait
, confesse-t-il.
« Le sale boulot, c’était pour nous »
Ses premières armes, il les fait en tant que manœuvre à la fosse n°9-9 bis, située à Oignies. Le sale boulot, c’était pour nous. Au début, avec les anciens, ça ne rigolait pas ! Il fallait suivre la cadence. Mais j’étais motivé, je n’avais pas le choix.
Son travail consiste à apporter le matériel pour que les mineurs puissent travailler. Puis, au bout d’un an, il devient piqueur : Je creusais les galeries dans la roche. Nous étions payés au rendement, il fallait travailler en équipe, beaucoup et vite.
S’il se plaisait dans la fosse de Oignies, Joël Pamart souhaitait plus que tout revenir dans son Nord natal, près des siens. Nous sommes alors au début des années 1980. Un jour j’ai eu un billet dans mon casier. J’étais convoqué par l’agent de maitrise et l’ingénieur. Pour moi c’était clair, j’allais être muté.
Des mines du Nord à celles de Moselle
Joël avait vu juste… à un "détail" près. Car sa mutation, il l’a bien obtenue, mais à Forbach, en Moselle, à quelques kilomètres de la frontière allemande. Ils m’ont dit que là bas, j’aurai de l’avenir, que je pourrai faire ma carrière. Ils avaient raison, j’y suis resté jusqu’en 1996
, sourit-il.
Au début, il loge dans un foyer avec des Sénégalais qui faisaient la fête tous les soirs
. Lui doit se lever à 4 heures du matin et ne revient voir sa famille qu'une fois par mois. Rapidement, un logement lui est attribué. Une maison en pierre bien plus grande que celles des corons. Le Graal.
Sauf que… la "maison" n’avait ni portes, ni fenêtres. Impossible d’accueillir une famille dedans. Avec le froid, les plafonds se fissuraient alors j’ai pris un manche à balai et j’ai fait tomber ce qu’il en restait. Et la maison a été refaite à neuf !
Six mois après son arrivée, sa famille le rejoint enfin.
Les postes s’enchaînent alors au Puits Simon. Peu à peu, Joël est rejoint par des gars du Nord. Une aubaine, car au fond de la mine, les « gueules noires » se parlent en patois lorrain. Lorsqu’on se croisait entre les deux postes, on avait coutume de se dire "Glück auf" pour souhaiter une bonne remontée aux uns et bonne chance aux autres, ceux qui descendaient
.
La pire catastrophe minière de Lorraine
Car quand on travaille au fond de la mine, on est conscient qu’on risque sa vie chaque jour. Dans sa carrière, Joël a vécu quatre accidents. Dont un éboulement qui lui a valu un traumatisme crânien, la mâchoire fracturée et des dents en moins.
Mais celui qui restera à tout jamais dans sa mémoire est survenu le 25 février 1985 dans le puits Simon. À 7h21, un coup de grisou, suivi d’un coup de poussière, a gazé les 117 mineurs présents.
Nous nous sommes vite reclus dans un abri fermé par une porte blindée, que nous avons colmatée avec du tissu. À 11h, on est venus nous chercher. On nous a équipés d’un pince-nez et d’un masque, puis on nous a remontés jusqu’au puits
, nous explique-t-il.
Après un mois et demi d’arrêt, il redescend. Mais plus rien ne sera jamais comme avant. Dans la catastrophe, Joël a perdu 22 camarades, dont son meilleur ami.
Après ce drame, la hantise était de la partie. Le moral n’y était plus.
Retour au pays
Peu à peu, beaucoup de mineurs partent. Joël s’accroche pourtant jusqu’en 1994. J’ai décidé de partir en bénéficiant de la convention des mines. Je me suis reconverti en passant un CAP de routier. Mais j’avoue que la mine me manquait.
Après un grave accident dans le Var, le rescapé revient sur ses terres natales en 1999, avec femme et enfants. Et c’est par le bouche-à-oreille qu’il apprend que le Centre historique minier recherche des anciens mineurs pour faire vivre la mémoire.
Cela fait bientôt 24 ans que je suis guide ici, à mi-temps. Avec deux autres anciens mineurs, nous racontons notre métier. Le quotidien dans les Houillères. C’est très enrichissant, pour le public autant que pour nous
, conclue-t-il, toujours aussi modestement. Et la mine dans la peau, jusqu’au bout.
Crédits photo : C. Arnould