Jeunesse Éducation | Flandre intérieure
15 septembre 2022

À Bailleul, des collégiens se font "passeurs de mémoire"

C'est une rencontre avec Lili Keller-Rosenberg, ancienne déportée nordiste, qui a tout déclenché. Depuis, des collégiens de l'Immaculée Conception à Bailleul se relaient chaque année pour transmettre la mémoire des victimes de l'Holocauste. Ils sont devenus de véritables "passeurs de mémoire".

Au premier étage du collège, tout au bout du couloir, une vaste pièce aux murs jaunes et gris. Sur le vieux bureau en bois qui trône au milieu de la salle, une étoile jaune, un vieux cahier noirci d'encre et quelques photos en noir et blanc. Dans un coin, une ancienne valise semble avoir été oubliée. Sur les tables d'école et dans la vieille armoire, des livres jaunis, d'anciens jouets, des coupures de journaux d'époque mais aussi des textes et des maquettes d'aujourd'hui. Et partout ces photos d'enfants, d'hommes, de femmes, de familles.

"Prendre le témoin que Lili Leignel nous a tendu"

Janvier 2019. Lili Keller-Rosenberg (ou Lili Leignel, son nom marital) vient à Bailleul pour témoigner. Isabelle Decloquement, professeur de lettres au collège Immaculée Conception de Bailleul, assiste à la rencontre. Ça a été un moment très fort. 700 élèves complètement scotchés et des enseignants fortement marqués. L'idée d'un projet autour de la mémoire de la Shoah nous trottait déjà dans la tête mais on ne l'avait jamais mis en place. Après cette rencontre, on a eu envie de prendre le témoin que Lili Leignel nous a tendu.

Si je témoigne, c'est pour vous faire comprendre qu'à votre tour, vous avez un rôle à jouer : transmettre la mémoire, être mes messagers quand je ne serai plus là.

Lili Keller-Rosenberg

Et c'est ainsi qu'en septembre 2019, "les passeurs de mémoire" voient le jour sous l'impulsion d'Isabelle Decloquement et de deux de ses collègues, David Bernard et Sébastien Bocquillon, professeurs d'Histoire-Géographie. Le projet est à la fois simple et ambitieux : une fois par semaine après les cours, une trentaine d'élèves volontaires de 4e et 3e se réunit pour travailler sur l'Holocauste. Avec comme point d'orgue, un voyage en Pologne, sur les lieux de mémoire de la Shoah.

Très vite, la pandémie est venue perturber le projet mais les "premiers passeurs de mémoire" ont quand même pu se rendre à Cracovie et au camp d'Auschwitz-Birkenau. Zoé, aujourd'hui au lycée, a participé au voyage : être "passeur de mémoire" et aller en Pologne, ça m'a changé. Je continue à en parler et raconter ce que j'ai appris. Depuis cette expérience, j'essaie de porter un regard moins critique sur les personnes. Je suis plus attentive à ne pas juger pour que ces discriminations ne se reproduisent plus.

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Comme un petit musée au sein du collège

Les photos et témoignages de ce voyage sont venus s'ajouter aux nombreux travaux réalisés par les élèves et présentés dans la salle des" passeurs de mémoire". Fabrication de maquettes, réalisation de Une de journaux, une véritable exposition permanente a progressivement pris forme au sein même de l'établissement. Lili Leignel en personne est venue la visiter en juin 2021, à l'occasion de l'inauguration d'une salle de classe qui porte désormais son nom.

  • 1/4 - "Le moment où les Juifs montaient dans les trains est important : c'est à la fois le début et la fin" (maquette réalisée par Pierre et Thibaut)
  • 2/4 - "J'ai représenté une tombe juive, avec un nom polonais et une inscription en hébreu" (Théo)
  • 3/4 - "Dans les baraquements, on entassait un maximum de personnes. Les déportés étaient plusieurs par châlit. Pour nous, ça montre à quel point on ne les respectait pas" (maquette réalisée par Romane, Lise, Zélie, Élisa et Édouard)
  • 4/4 - "Lili avait à peu près mon âge quand elle a été déportée. J'ai fait un dossier sur elle avec des définitions pour que les 6e et les 5e comprennent. Elle a signé mon livre, c'était vraiment un honneur" (Suzon)

Les "passeurs de mémoire" sont des élèves de tous profils et de tous niveaux scolaires réunis autour d'un projet commun. Chacun avec sa sensibilité. Cette année, un professeur d'éducation musicale a rejoint le projet pour enregistrer, avec trois collégiens, une création sonore très touchante où trois enfants déportés rêvent des petites choses de la vie qu'ils ont laissés derrière eux et espèrent retrouver quand ils sortiront. Regarder un oiseau s'envoler, manger un gâteau au chocolat, inviter ses copains à la maison ou construire une cabane, on s'est rendu compte que c'était des petites choses très importantes, témoignent les collégiens.

Grâce au projet, nombreux sont aussi ceux qui abordent désormais le sujet de l'Holocauste avec leurs proches. Même si, comme l'explique Célia, avec les grand-parents, c'est parfois un peu plus compliqué. De son côté, Suzon en discute surtout avec sa cousine: elle me demande toujours des nouvelles des "passeurs de mémoire" et je lui raconte ce qu'on a fait. C'est notre moment à nous, un instant de partage.

Chacun à leur manière, ces "passeurs de mémoire" portent décidément très bien leur nom.

Crédits photo : Ph. Houzé

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