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12 mars 2025

Pour ne plus subir, les jeunes de la protection de l'enfance forment les futurs travailleurs sociaux

Sept jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont intervenus à l’Institut régional du travail social (IRTS) comme formateurs. Le temps d’un après-midi, ce sont eux qui ont donné un certain nombre de clés de compréhension aux futurs professionnels.

Ils ont entre 13 et 21 ans, ont bénéficié ou bénéficient encore de mesure de placement de l’Aide sociale à l’enfance. Le temps d’un après-midi, ils ont participé à une expérience originale et fondatrice dans l’amphithéâtre de l’IRTS, face à des étudiants de première année qui s’apprêtent à embrasser la carrière de travailleur social. Nous sommes au début d'un module sur la protection de l’enfance, et les étudiants n’ont, pour la plupart, pas de connaissances sur ce thème, raconte Raphaël Fritsch, cadre pédagogique à l’IRTS. L’idée, c’est de pouvoir, grâce aux témoignages et aux savoirs expérientiels des jeunes, transmettre leur quotidien, et réduire le décalage entre perception et réalité de terrain.

Pour préparer leur intervention, ces sept ados - qui font tous partie du collectif des Jeunes experts de la protection de l’enfance du Département du Nord, créé par l’Observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) et la direction Enfance famille jeunesse - ont travaillé avec Caroline Dubreil, cheffe de projet, sur les différentes préconisations qu’ils souhaitaient mettre en avant.

Au total, sept préconisations ont été compilées dans un plaidoyer à destination des étudiants et futurs professionnels de la protection de l’enfance. L’idée de cette intervention, ce sont quelles mesures, à travers un certain nombre de situations concrètes présentées en amphi, ces futurs professionnels de l’ASE pourraient prendre pour mieux agir ?, explique Caroline Dubreil.

  • 1/2 - Lucas, Bridget et Romain ont commenté les post-it, et répondu aux étudiants.
  • 2/2 - Le public de l'amphithéâtre de l'IRTS a joué le jeu, et s'est montré intéressé par les débats.

La parole de l’enfant doit être au cœur de notre action. Je me réjouis que de telles initiatives soient déployées ; elles sont enrichissantes, tant pour les jeunes protégés que pour les futurs professionnels. Leurs mots, leur ressenti, leurs propositions permettent une prise de hauteur, et invitent à la réflexion sur les pratiques actuelles. J’aspire à ce que les formations initiales et continues intègrent davantage ces modules ; redonnons du sens aux actions quotidiennes." 

Marie Tonnerre, vice-présidente en charge de l'Enfance, la famille et la jeunesse

"Créer un impact et faire bouger les mentalités" 

Une entrée en matière passionnante pour la centaine d’étudiants présente. Tous ont écouté religieusement ces adolescents et jeunes adultes évoquer plusieurs cas concrets, avant de proposer ensuite, via des post-it interactifs, des recommandations toutes commentées et débattues par les différents intéressés. Des échanges très riches entre les protagonistes, à tel point qu’il a été difficile de balayer l’ensemble des sujets. Rien que le premier thème, "Simplifiez-nous la vie", a monopolisé la moitié de l’après-midi, mais on avait anticipé, et classé les sujets par ordre d’intérêt, relativise Romain, un des sept jeunes experts, lui-même en deuxième année de formation d’éducateur spécialisé.

Ont ensuite été abordés dans la seconde partie trois autres thèmes : "Soyez présents à nos côtés", "Protégez notre intimité" et "Renseignez-vous sur notre histoire". Avec à chaque fois des témoignages de ces ados sur leurs propres expériences ou celles vécues par un ami. Notre présence ici est super enrichissante, surtout pour notre confiance en nous, avoue Bridget, également jeune experte de 21 ans et future assistante sociale. Il ne faut pas oublier qu’on a eu un parcours compliqué, donc être reconnu et entendu, c’est déterminant ! J’espère que chez les étudiants, ça créera un impact et fera bouger les mentalités.

Illustration
Romain, Lucas et Bridget.

"Ça permet de se faire une idée de ce qui nous attend"

À chaque témoignage, les post-it s’affichent sur grand écran, entre commentaires et solutions. Derrière, Caroline Dubreil et ses jeunes experts utilisent des textes de loi pour apporter une réponse plus concrète. C’est particulier comme entrée en matière, mais c’est vachement intéressant d’avoir la parole des personnes concernées, relève Lucie, 30 ans, en première année et en reconversion professionnelle. On entend beaucoup de choses sur les enfants de l’ASE, c’est un environnement qui fait peur dans notre formation, parce que les attentes sont énormes, mais ça permet de se faire une idée de ce qui nous attend, ajoute Célestine, 39 ans, également en reconversion professionnelle.

Avant on commençait par la théorie pour aller vers l’expérienciel, rapporte Raphaël Fritsch. Actuellement, on pense qu’il est bon d’inverser, afin d'assurer une entrée en matière plus facile pour les étudiants. Après, on reprendra avec eux tout ce qui a pu être échangé pour voir l’impact.

Au bout de trois heures très vivantes, nos interlocuteurs ont pu dresser le portrait type du bon éducateur : Il est compréhensif, à l’écoute, bienveillant, dans le respect et le non-jugement, détaille Lucas, le troisième majeur de l’équipe, 18 ans, qui se destine, comme Romain et Bridget, à une carrière de travailleur social. Surtout qu’il n’oublie pas qu’on est au centre du sujet, conclut la jeune femme.

Trois questions à Caroline Dubreil : "On veut que les étudiants ne pensent plus pareil "

Qui sont ces jeunes experts ?
Caroline Dubreil :
Ce sont des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance qui constituent un groupe ouvert. Ils sont une trentaine, opèrent depuis trois petites années, et ont produit différents documents. Ils ont déjà formé l’ensemble des chefs de service enfance du Département. Prochainement, ce sont les responsables territoriaux de l’Aide sociale à l’enfance qui devraient l’être aussi. Mais leur présence à l’IRTS est une première. 
Qu’est-ce qu’ils apportent de plus ?
C.D. :
Mais c’est une source de savoir unique ce qu’ils vous racontent là ! Ce ne sont pas des témoignages chocs pour faire larmoyer l’assistance. On est face à des jeunes qui ont relevé des défis colossaux. Ce sont des survivants de maltraitances, de négligences lourdes ou de violences sexuelles, et avec lesquels il faut coopérer davantage. Leurs interventions décrivent des micro atteintes ou des violences institutionnelles discrètes qui passent sous les radars. Les professionnels qui enseignent dans les écoles de travail social, transfèrent très rarement des repères sur ces atteintes aux droits des enfants dans le placement. L'exemple d'une des jeunes, dont la référente s’autorise à rentrer dans sa chambre, alors qu’elle n’est pas là, est révélatrice. Il n’y a qu'eux qui peuvent décrire ça. Pour des futurs professionnels, c’est important d’entendre ça dès le début ! 
Comment s’est construite leur intervention à l’IRTS ?
C.D. :
Il y a derrière leur intervention une ingénierie pédagogique très carrée. Avec les jeunes experts, on a travaillé trois jours pour créer des outils et les aider à s’exprimer dans leur Projet pour l’enfant (PPE), mais il y avait tellement de sujets importants qui débordaient cette question du PPE, et qui ne sont pas évoqués dans les institutions, que je leur ai proposé de rédiger un plaidoyer. Il s’agit d’une production narrative qui vient plaider pour une meilleure prise en compte de certaines réalités et certains droits. Au total, il y a sept messages qui architecturent notre intervention. En sortant de ces trois heures, on veut que les étudiants ne pensent plus pareil. 
Les sept messages à destination des professionnels : "Simplifiez-nous la vie", "Soyez présents à nos côtés", "Protégez notre intimité", "Renseignez-vous sur notre histoire", "Proposez des réponses adaptées à chacun", "Adressez-vous directement à nous" et "Soutenez-nous et encouragez-nous".

Crédits photo : Cédric Arnould

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