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31 janvier 2025
Le Palais Rameau, témoin privilégié de l'histoire de Lille
Avec le soutien du Département, il devient un lieu consacré à l'agriculture de demain, après avoir été, à l'origine, dédié à l'horticulture. Retour sur l'histoire du Palais Rameau, moins linéaire qu'elle n'y paraît…
Au 39 boulevard Vauban, le chantier du Palais Rameau, entamé en 2021, est terminé. Ce joyau de la Ville de Lille a bénéficié d’une transformation intérieure et d’une restauration complète de sa façade.
C’est l’école Junia (propriété de l’Université catholique de Lille), qui en est la nouvelle locataire pour 25 ans. Mais avant d’être voué à l’enseignement, l’édifice a connu d’autres vies. Rembobinons la pellicule à 1876 avant d’aller plus loin.
Inauguré en 1879, sans Charles Rameau
Charles-Alexandre-Joseph Rameau, président de la société
lilloise d’horticulture, légua avant sa mort en 1876 sa fortune pour
l’édification d’un monument portant son nom. Mais le riche agronome émet
quelques conditions sur son testament : notamment que ce futur lieu soit principalement
dédié aux expositions horticoles, et exceptionnellement à des fêtes
musicales et expositions artistiques
.
Le projet est confié aux architectes lillois Auguste Mourcou et Henri Contamine qui dessinent une halle de 3600 m2 de style romano-byzantin. L’édifice est doté d’une façade néo-mauresque surmontée de deux tours, prolongée par une serre horticole circulaire en fonte, elle-même surplombée d'une immense rotonde de verre. Inauguré en 1879, le Palais Rameau coûte finalement plus de 800 000 francs, soit près de deux fois plus que la fortune léguée par son mécène.
Jusqu’au 20e siècle, le palais remplit sa vocation initiale en accueillant des expositions florales et des manifestations horticoles, culturelles et artistiques. Notamment l'exposition d'art industriel de 1882 au retentissement national. En 1897, Berthe Dassonville y est élue Muse Lilloise, pour figurer dans le cortège en hommage au poète lillois Alexandre Desrousseaux, auteur du P'tit Quinquin.
Un donateur généreux et… excentrique
Outre les usages du lieu, la donation de Charles Rameau imposa deux autres conditions strictes à la commune. L’agronome, veuf et sans héritiers, demanda à ce qu’un fraisier, un plant de pomme de terre, un pied de vigne, un dahlia et un rosier soient entretenus à perpétuité sur sa tombe au cimetière de Lille Sud. Aussi, il fallait prendre soin de ses deux chèvres tibétaines et de leurs descendantes.
Témoin des deux guerres mondiales
Avec le temps, le lieu s’éloigne de ses fonctions premières et diversifie ses activités en incluant concerts, expositions canines et félines, ou banquets.
Dès octobre 1914, le lieu est utilisé par les forces d'occupation allemandes afin d'y stocker les objets et matériaux réquisitionnés.
En 1945, l'édifice sert de base pour les prisonniers revenant d'Allemagne. Puis en juin 1948, le Palais Rameau abrite le procès de cinq agents de la Gestapo de La Madeleine. Après quatre jours d'audience, le tribunal prononce quatre condamnations à mort (dont deux seront ensuite commuées en travaux à perpétuité) et un acquittement.
Entre les guerres, à partir des années 30, des examens scolaires y sont organisés. Cette pratique se poursuivra jusqu’en 1960. Malgré ces changements, le bâtiment conserve son importance culturelle, comme l’indique la programmation de concerts mémorables dans les années 1970.
Un patrimoine préservé
En 2002, le Palais Rameau est classé aux Monuments historiques, garantissant sa protection architecturale et patrimoniale.
Avec "Lille capitale européenne de la culture" en 2004, la Ville tente de lui redonner une place dans la vie culturelle locale en le rénovant partiellement pour accueillir des événements. Mais faute d’argent public, il ne peut être exploité et se voit fermé en 2012, suite à des problèmes structurels et des dégradations.
Une nouvelle ère s’offre au palais vers 2015 lorsque l’Université catholique de Lille s’intéresse à lui pour ses écoles d’ingénieurs. Le projet vise à créer un lieu d’enseignement supérieur, et un incubateur des pratiques agricoles durables et de l’alimentation de demain. Après un accord trouvé avec la Ville de Lille, un bail emphytéotique est signé entre les partenaires et permet à l'école Junia de lancer le chantier. Avec le soutien de divers financeurs, dont le Département qui y investit 307 593 euros (au titre des espaces innovants et végétalisés alliant production alimentaire et nature au service des habitants), les travaux débutent en 2021 pour s’achever fin 2024.
L’agriculture urbaine et la renaturation des villes ou des quartiers par des espaces arborés et des potagers ou arbres fruitiers, propices à créer des îlots de fraîcheur et de production alimentaire locale et de saison notamment, sont des enjeux importants de demain. Par son ambition et son ampleur, doublé de sa dimension patrimoniale et historique, le projet Rameau a tout pour devenir un symbole et un laboratoire de cet avenir urbain durable : c’est la raison du soutien enthousiaste du Département.
Désormais entièrement dédié à la science agri-alimentaire, et vitrine des savoir-faire, le Palais Rameau sera ouvert au public à certaines occasions, comme la Fête de la science ou lors des Journées européennes du patrimoine. Mais vous pouvez d’ores et déjà admirer de l'extérieur ce monument de l’histoire locale en vous promenant dans les 6000 m2 de jardin qui l’entourent : ils sont ouverts à tous en journée.
Crédits photo : Atelier 9.81 / Repro Daniel Rapaich Ville de Lille