Comment la maladie d'Alzheimer est-elle arrivée dans votre vie ?

Anne Bultot : La maladie a touché notre famille deux fois. La première, c'était ma grand-mère, qui perdait la mémoire de façon précoce. Son comportement changeait, c'était difficile de mettre des mots sur ce qui se passait et de poser un diagnostic. La seconde a concerné mon beau-père. Comme j'étais déjà un peu sensibilisée aux signes, j'ai tout de suite alerté mes proches. 

Comment réagit-on face à une telle épreuve ?

A.B : C'est une maladie très compliquée et chacun réagit à sa manière. C'est assez sournois, c'est lent. Au début, elle peut ressembler à une sorte de découragement. La personne malade se cache, se justifie. Il peut y avoir un déni de sa part, et de celle de ses proches aussi. Ensuite ça évolue crescendo.

Mon beau-père ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Par exemple, pourquoi s'acharnait-on à lui dire qu'il connaissait untel alors qu'il disait le contraire ? Son épouse s'énervait face à son comportement déroutant… Un jour il a voulu manger les fleurs imprimées sur la nappe… On a du mal à se mettre dans leur tête et le piège justement, c'est de réagir avec notre rationalité. Ça ne fonctionne pas. On doit faire le deuil de la personne qu'on a connue et qui ne reviendra pas. C'est un deuil blanc. Ce n'est pas une maladie qui se soigne, pas encore. C'est une maladie qui s'accompagne.

Et un jour est né Papy Gus...

A. B : Oui. Quand ma fille Éléna est née, mon beau-père venait de prendre sa retraite. Ils ne se sont plus quittés. Il l'accompagnait partout, ils ont tissé un lien merveilleux. Quand il est parti définitivement en 2021, elle était déjà adulte. Ma façon à moi de gérer ce deuil a été de le partager et de me souvenir. Je ne prends pas de photos, mais je dessine ! Alors j'ai pensé à eux, aux yeux de ma fille, noirs comme ceux d'une petite souris (c'est son surnom).  Papy Gustave s'est transformé en Papy Gus. Quand j'ai montré l'illustration à Éléna, elle l'a tout de suite reconnu. Mes proches m'ont dit : pourquoi t'arrêter là ? Alors j'en ai fait un livre.

Il s'adresse aux enfants à partir de 6 ans. N'est-ce pas trop jeune pour un sujet si délicat ?

A. B. : Je ne pense pas. C'est un sujet particulier, mais pas tabou. Avec ce livre illustré, j'ai souhaité parler avec tendresse d'une maladie qui ne l'est pas. Expliquer simplement cette réalité, en prenant en compte la sensibilité de l'enfant. Oui c'est une épreuve, oui c'est triste, mais c'est aussi une histoire pleine d'amour. C'est la vie. Plus on est préparé à cette réalité, moins elle est traumatisante. Cette histoire s'adresse aussi à tous les enfants intérieurs qui vivent ces expériences de vie dans un corps d’adulte. Quel que soit l’âge, quand on perd un grand-parent, on est toujours un enfant, voire même un petit-enfant. 

Quel message aimeriez-vous transmettre aux personnes confrontées à cette maladie ?

A.B. : Entourez-vous. Ne restez pas isolés dans cette épreuve. Souvent, on est dans un tunnel, on a du mal à lever le nez, à prendre du recul. Il faut avoir ce réflexe de parler, de chercher des aides extérieures. Se rapprocher des associations, comme Vaincre Alzheimer ou France Alzheimer, des plateformes de répit ou tout simplement de personnes qui ont vécu cette expérience. Plus on diagnostique tôt, mieux on s'entoure, moins ça devient violent. D'ici 2050, on estime à 1,8 million le nombre de personnes atteintes. Il faut plus que jamais encourager les associations et la recherche.