Sport | Tout le département
24 juin 2024

Jean-Marie Leblanc : "Un Tour réussi est un Tour qui part bien !"

À l’occasion du Grand Départ du Tour de France 2025 prévu à Lille, Jean-Marie Leblanc revient sur les spécificités de cet événement sportif estival qu’il a dirigé de 1989 à 2006. L’ancien patron de la Grande Boucle, originaire du Nord, évoque un événement incontournable bien installé dans le cœur du public.

Comment s’est construite la notoriété du Tour de France depuis sa création en 1903 ?

Jean-Marie Leblanc : Ça s’est fait naturellement. C’est son histoire qui, depuis 1903, a fait qu’il a grandi et a pris, dans les médias notamment, une place de plus en plus grande. Cette notoriété, c’est aussi parce qu’il y a des facteurs favorables. Premièrement, la date : le mois de juillet a quasiment toujours été le mois des vacances avec le soleil, donc disponibilité du public. Deuxièmement, il s’agit de vélo, et d’une compétition dont les racines sont anciennes. Il n’y a pas d’autres événements plus ancrés dans la mémoire collective des gens. Et troisièmement, son récit : c’est un événement qui existe depuis très longtemps avec des histoires racontées par des personnes de talent, qui ont façonné sa légende. 

On peut dire également que cette course a gagné en popularité avec l’avènement des médias…

J.-M. L. : Il y a plusieurs phases dans la popularité du Tour. Au début, les gens en rêvaient, ils l’interprétaient, l’imaginaient ! C’est pour ça que la presse écrite a été si importante d’entrée de jeu avec la narration des étapes. Il ne faut pas oublier les photographes qui ont eu aussi un rôle prépondérant jusqu’à l’arrivée de la télévision à la fin des années 1940 ! Et avant la télévision, la radio a énormément popularisé ce rendez-vous. Imaginez qu’à cette époque, beaucoup ne savaient pas ce qu’était la montagne. On partait peu en vacances. Le Tourmalet, l’Aubisque, le Galibier… Quand le vélo est venu populariser ces lieux-là, ça a amplifié la résonnance. 

Il existe d’autres grands tours, l’Espagne, l’Italie, mais qu’est-ce qui fait que pour un coureur, le Tour est important ?

J.-M. L. : Le Tour de France est né le premier, il est le plus vieux, et a la plus longue histoire. C’est le privilège de l’ancienneté. Tout s’est développé de pair. La médiatisation a entraîné la popularité, la popularité a entraîné le phénomène de curiosité. Ensuite, l’épreuve a couronné les champions les plus prestigieux, et ce sont eux qui ont font l’histoire et la notoriété d’une course. Combien de fois j’ai vu des groupes de spectateurs ravis le long de la route, l’après-midi où le Tour passait… Ça apporte du bonheur, gratuitement, n’oublions jamais ça ! 

Vous avez vécu l’événement sous ses trois coutures, quelles sont ses caractéristiques ?

J.-M. L. : Le mot qui me vient, c’est souffrance, parce que le Tour est long, mais on a la chance d’organiser le Tour dans un pays qui paraît être fait pour le vélo. Le pays est tempéré, il y a de la montagne, de la plaine, il y a tout ce qu’il faut pour faire une vraie bonne course cycliste. Vous savez, j’ai couru deux tours de France, j’en ai couvert une dizaine comme journaliste pour La Voix du Nord et L'Équipe, mais ce que j’ai préféré, c’est la dernière séquence, comme patron, parce que c’est de cette position que l’on connaît le plus d’aspects. En tant qu’ancien du peloton, j’ai toujours accordé beaucoup d’importance à ce que j’appelais la condition du coureur ! Ses périodes de repos, ses hébergements, afin d’atténuer le plus possible, sur ces trois semaines, ses contraintes, ses fatigues et ses obligations. 

En 2025, les coureurs vont démarrer de Lille. Comment se construit un Tour ?

J.-M. L. : Le parcours, c’est le patron qui décide à partir de candidatures de villes, de collectivités, de l’avis de spécialistes ou de proches, sachant qu’en une vingtaine de jours, on ne peut pas prétendre aller partout en France et qu’au quotidien, les coureurs ne peuvent pas faire plus d’un certain nombre de kilomètres. Tout ça se prépare plus d’un an à l’avance. Il y a tellement de candidatures ! Il faut penser à tout : le plan sportif, avec les horaires, les délais d’élimination, mais aussi l’accueil, l’hébergement et la logistique. Il faut que ça roule. Il n’y a que sur la météo, qu’on n’a pas d’influence. 

Et pour le grand départ ?

J.-M. L. : Il faut que le site retenu soit crédible sur le plan sportif. J’ai souvent remarqué qu’un Tour réussi, est un Tour qui part bien ! Le grand départ, c’est une semaine à peu près de présence de milliers de compétiteurs, suiveurs et sponsors en un endroit donné pour faire la présentation des équipes et du parcours. Avec un prologue, une première étape, une deuxième étape… 

L’idée est-elle encore de faire découvrir de nouvelles routes ?

J.-M. L. : Oui, mais là on arrive au bout du bout. On a presque tout inventorié ! Moi, je n’ai jamais connu la Planche des Belles Filles par exemple, je ne savais pas que ça existait. Il y a dix ans, quand le site a été découvert, il s’est avéré que c’était une bonne trouvaille. Quand j’étais directeur, il y a eu une velléité de candidature de la Guadeloupe. On a regardé quels étaient les problèmes, quelles étaient les solutions, pour en conclure que ce n’était pas possible. Le transfert en avion notamment… J’avais même interrogé Air France pour savoir comment rentrer en métropole le plus vite possible. On a été assez loin dans la réflexion, avant de renoncer. Il y avait aussi, comme raison, le décalage horaire. 

Parce que les coureurs doivent être mis dans les meilleures dispositions…

J.-M. L. : Oui ! D’ailleurs mon prédécesseur Jacques Goddet tenait à ce que toutes les équipes soient, autant que faire se peut, dans des conditions d’égalité de traitement : qualité d’hôtel, de restauration… Il ne faut pas qu’une équipe ait 100 kilomètres à faire tous les matins, et qu’une autre loge à côté. Quand j’étais aux affaires, on comptabilisait même le nombre d’étoiles d’hôtel équipe par équipe, pour qu’au bout du bout, ça soit le même nombre pour toutes. Même chose pour la distance à parcourir entre le lieu d’arrivée et les hôtels. C’est un jeu de construction détaillé, précis et indispensable. "Égalité de traitement", c’était mon expression, mon leitmotiv. 

Enfin, en tant que patron du Tour, vous avez connu deux grands départs dans le Nord, que retenez-vous ?

J.-M. L. : Le public ! Parce que nous sommes dans une région où le vélo est populaire, donc le Tour de France est apprécié dans le Nord. Ici, sa popularité est démultipliée. Qui dit population et public, dit médias. Plus il y a de population, plus il y a de public, et plus il y a de médias, de journaux, de radios et de télés ! La mousse faite autour du Tour est plus importante ici qu’ailleurs ! 

Crédits photo : Dominique Lampla

Pour aller plus loin